Mirza mon cher ami
Tu me donnais autre jour nouvelles de
Boabdil. J'ai grand peine d'apprendre qu'il a dû s'éloigner en
butte aux infidèles. Il était sage et doux et très sensible aux
choses. Son exil me chagrine.
Je te rends grâces aussi de
m'instruire des affaires du palais. Notre vizir bien aimé comme à
son habitude envoie ses émissaires pour faire connaître à tous
les édits qu'il promulgue dans sa grande sagesse. Il est homme sensé
et porte grande attention au choix des messagers. Leur tâche est
difficile pour dispenser partout les subtiles nuances de la pensée
du Maître et ses désirs sacrés. Que son nom soit béni! Cela
nécessite le temps qui fait mûrir les choses pour les faire
comprendre et puis les accepter. Le rythme des leçons se doit
d'avoir lenteur comme oranger qui pousse et porte ses pleins fruits
tout au long des années.
Il n'en va pas de même ici pour
asseoir les pouvoirs. C'est frénésie de rythmes. Ce sont nouvelles
chantées dans les boîtes à images pour chaque jour qui vient.
Elles changent au quotidien et font tant abondance, qu'on ne sait
plus toujours de quoi il est question et où est l'essentiel.
L'ancien petit vizir qu'on trouvait
agité appliqua la méthode pour asseoir sa puissance. Il sut un
grand moment faire croire à tout son peuple les choses qu'il disait
comme dans un beau spectacle. Les Francs comme les Persans aiment
bien les histoires. Abondance nuit en tout. Il dut finalement laisser
son siège à autre qui cherche encore son rythme et qui se dit
normal.
Les rythmes de chez nous ont tempo plus
paisible qui assure constance au long des mois qui passent. De temps
immémoriaux les vertus du temps long sont choses naturelles et beaux
cadeaux des dieux dans notre Empire de Perse. Le Ciel en soit loué.
Ceux qui font politique, dans le
royaume des Francs, pratiquent moyens modernes nommés
technologiques. Les objets de la science quand ils sont adaptés font
davantage pensée que les pensées elles-mêmes : tel est le
postulat que lancent les philosophes de ces nouvelles chapelles. J'ai
du mal à comprendre. Il heurte grandement le cours de mes savoirs et
la sagesse antique.
Dans la ville où je suis, parmi ceux qui postulent au siège du calife et qui font déjà bruits, chacun y va son style et use de sa méthode.
L'un affiche visage sur grands écrans
fleuris dans les salles obscures. Son bonheur sublimine. Il a mis
fleurs aussi à son petit carrosse. Autre rêve d'affiches dans
cadres commerciaux et va mener campagne comme on fait les affaires et
dans les Amériques. Ses conseillers s'activent. On les voit aux
marchés.
Autre encore gazouille à longueur de
journées dans étrange appareil qui lance petits messages aux
caractères comptés. Il faut tout dire en signes. Elle y écrit de
tout, de son chat, du calife, en toutes directions, mais reste au
fleur des choses. Difficile sans doute d'y développer pensée.
L'appareil est de mode : il faut y sacrifier jusqu'au prochain engin.
La calife quant à lui n'est pas dans
la mêlée. Il distille ses pensées à toute les cités depuis
longues semaines dans sa boîte à messages(*). Il y dit qui il est,
le fond de ses idées et explique à chacun comment il voit les
choses. Il est dans le temps long, celui qui fait mûrir, celui de
l'oranger...
Uzbek
(*) Note du traducteur:
L'allusion au blog de Denis Rebmann est
ici évidente. On le trouvera à l'adresse denisrebmann.blogspot.fr .
On pourra également y accéder à l'aide du lien ci-contre mis
obligeamment à disposition !