Mirza mon grand
ami,
Mes yeux pleurent de joie. Ce jourd'hui
est béni. Il vient de me combler sans que je m'y attende d'une de
ces visions qui remplissent bien la vie.
Je vais t'en narrer dans les détails
l'exacte circonstance.
Mon corps me fait souffrance, tu le
sais. Je m'évertue chaque jour de Dieu à faire quelqu'exercice pour
lui donner souplesse.
Je vais donc en marchant par les rues
de la ville où je suis. Elles sont de toutes tailles et de charmes
divers. La route principale, celle qu'on nomme République, la
traverse en plein cœur. Elle connaît grand encombre de ceux qui
vont à pied ou par petits carrosses. On en voit même certains qui
chevauchent étranges objets de fer qu'ils meuvent avec les pieds.
Les pavés font secousses. J'admire leurs prouesses. Le calife
prévoyant leur a fait nouvelle route afin qu'ils puissent s'ébattre
sans risque de se nuire ou de nuire aux autres et offrir aux familles
des lieux de promenades. Cela a grand succès. Les grognons
vitupèrent comme à leur habitude. Ils fréquentent de nuit pour ne
pas être vus.
Mais foin de ces remarques. Passant
donc tout à l'heure devant échoppe à livres qui offre ses produits
à tous ceux qui savent lire, mes yeux furent attirés par un de ces
dessus qu'on appelle couverture. J'en tremble d'émotion. C'était
ouvrage du Maître certes en petit format qui n'est pas familier et
en langue locale. Je m'en suis approché pour en avoir cœur net. Mes
yeux émerveillés voyaient au milieu d'autres les ineffables vers et
les quatrains sublimes de notre Maître à tous, l'immense Sheikh
Omar. (*)
Son œuvre est immortelle. Elle est
donc de partout. C'est merveille de voir en toutes les contrées que
les pensées du Maître nourrissent bien les hommes qui veulent
comme nous croire que nature humaine peut s'élever en haut des
contingences. Nous avons frères ici. Cela chauffe le cœur et
réjouit mon esprit.
Je t'offre en cadeau un des quatrains
que j'aime tiré de cet ouvrage en langue mécréante. Il n'a sans
doute pas les saveurs de la Perse, ni la douceur des mots comme quand
le Maître écrit. Mais s'il est imparfait son esprit s'offre à
tous. Et là est la leçon.
Ne laisse aucune ombre de regret t'assombrir,
Aucune peine absurde
obscurcir tes jours
Ne renonce
jamais aux chants d'amour, aux prairies, aux baisers,
Jusqu'à
voir ton argile se fondre dans une plus ancienne. [24]
Je t'embrasse mon très cher ami.
Uzbek
(*) Note du traducteur: Uzbek
évoque ici Omar Khayyam illustre
mathématicien et astronome né à Nichapour en 1015. Son œuvre
maîtresse les Roubbayat
collection de quatrains de vers magnifiquement ciselés est inspirée
du soufisme, philosophie transmise à travers les siècles qui veut
donner à l'homme une voie pratique pour atteindre un niveau de
conscience supérieure.
L'ouvrage vu en
vitrine est vraisemblablement «Les quatrains d'Omar Khayyam»
traduits et présentés par Omar Ali-Shah (Albin Michel éd. 2005 )