« J'vous
ai apporté des bonbons parce que les fleurs c'est périssable »
chante le personnage pathétique de Brel.
Francis
Kleitz et les colistiers du Nouvel Essor pour Guebwiller eux
« offriront » une rose à toutes les femmes qui
pousseront la porte du « 103 Kleitz » le samedi 8 mars à
l'occasion de la journée de la femme nous dit un communiqué de
presse.
On
est frappé de voir la belle constance avec laquelle depuis des
semaines la liste Kleitz «offre» des cadeaux. A chaque occasion,
dans chaque circonstance, à tout bout de champ. On a connu des
mannalas, des réductions sur les consommations dans les cafés, des
crèpes … et aujourd'hui la rose ! Il n'y a bien sûr pas
là hasard mais stratégie.
A se
demander s'ils sont bien dans une campagne pour les municipales ou
dans une campagne commerciale.
Voilà
en effet une campagne qui ressemble furieusement à une banale
opération de promotion commerciale basique : venez, vous aurez
un cadeau ou, plus perfide, si vous venez vous aurez un cadeau
! Faire de la politique comme on fait la promotion d'un produit, le
produit Kleitz, c'est un choix .
Et
quand on creuse un peu …
«Offrir »
vraiment c'est faire une démarche vers l'autre, c'est se déplacer,
c'est faire une geste vers celui qu'on veut honorer. Mème le
personnage de Brel «apporte» ses bonbons.
Les
démarches de M.Kleitz sont à l'inverse. Pour avoir, pour obtenir il
faut aller chercher (en allant à tel ou tel endroit, à tel moment,
à telle occasion), c'est subordonner le recevant au donateur.
Il
faut matériellement et symboliquement aussi pousser une porte …
entrer dans un certain lieu qui est celui du donateur et lui faire
ainsi geste d'allégeance.
Pour
recevoir venez vers moi. Celui qui compte c'est moi. Bref pour
recevoir il faut d'abord se donner.
On
aura observé que la plupart des cadeaux sont de l'ordre de
l'alimentaire : procurer une aisance, un bien être physique. De
l'ordre d'une certaine imagerie mentale alsacienne, du tripal aussi
assurément. « Tout pour la tripe ! » comme chez
Rabelais.
Intéressant
aussi de voir que les instigateurs de la campagne promotionnelle se
servent de la « journée internationale de la femme » qui
est quand même une manifestation mondiale de «libération de la
femme» pour induire des démarches de soumission.
Une
initiative en parfait contre-sens avec cette journée et son esprit
qui est une occasion de faire un bilan sur la situation des femmes
dans la société et de revendiquer l'égalité hommes-femmes. Une
occasion aussi de mettre en avant les associations et groupes de
femmes militantes et leurs revendications pour améliorer la
condition féminine, en fêter les victoires et les avancées.
Offrir
des fleurs à une femme est un geste traditionnel socialement
fortement connoté, convenu. Estimable sans doute pour certaines
occasions il est tout à fait déplacé à l'occasion du 8 mars.
Demander
en outre à une femme de venir chercher son cadeau un jour où elle
fête symboliquement sa libération est en plus de l'ordre de la
faute de goût. On est banalement dans la lourde récupération.
On
se rappelle sur le sujet le magnifique « Essai sur le don »
de l'anthropologue Marcel Mauss où il est question de don et de
contre don et de quelques pages
aussi de Bourdieu sur les significations sociales du cadeau et du
don. La boucle est bouclée.
On
suggérera aux instigateurs de la campagne promotionnelle d'«offrir»
comme cadeau ou comme don de leur prochain événement un produit
plus original. On verrait bien des KK Brötchen
(Kleitz und Kuentz Brötchen ), produit et concept nouveaux, à
imaginer, à créer, en sortant des sentiers battus.
Ce
serait original et en plus sonnerait tellement bien de chez nous !
Alex