dimanche, décembre 08, 2013

Uzbek à Mirza du 5 des calendes du mois de fin d'année



Figure toi mon cher Mirza que je viens d'être témoin de chose à peine croyable ce jour de la semaine qu'ils appellent dimanche.

Le calife d'ici dont j'ai déjà parlé organise chaque année grande fête des lumières pour le plaisir du peuple et faire savoir partout les mérites de sa ville. Il veut la faire connaître, la veut plus attractive et ainsi l'enrichir pour le bonheur des gens. C'est grand bouleversement d'avec le précédent.

C'était donc grande fête cette journée d'avant hier. Les rues grouillaient de peuple, un océan de têtes jusque dans les ruelles. Des sourires partout, plaisir d'être ensemble. C'était fête de lumières, de saveurs et d'odeurs avec les bruits de vie et ambiance fraternelle comme il y a au pays. Je voyais Ispahan et la fête du Kefir. C'est te dire mon bonheur.

Sur chacun des immeubles, qu'ils appellent églises, il se fit projections d'images colorées d'une nouvelle invention de grande technologie qu'on dénomme mapping. La chose est toute neuve. Il n'y en a point en Perse et fort peu par le monde.

Les opposants du calife qui voulaient se montrer au milieu de la foule faisaient sourires figés et montraient peu d'ardeur à taper dans leurs mains qui sont youyous d'ici. Ils enrageaient sans doute à voir le grand plaisir de toute la populace et à imaginer le bonheur du calife.
Ils cherchèrent revanche sans beaucoup de succès dans une table à médire annoncée pleine rue dans le jour qui suivit mais qui ne se fit pas pour raisons point dicibles ou offrant chocolat et petits gâteaux doux pour appâter les gens comme on fait des enfants.
Celle à cheveux au vent (*) qui veut se distinguer avait anticipé avant veille en conseil de notables où elle a son divan. Elle qui prêche rigueur et grande austérité et voit dans toute fête funeste badinage, poussa sa diatribe comme à son habitude pour trouver que le coût était de son avis beaucoup trop élevé. Ce ne furent que sourires du côté des anciens hormis fracas de mots avec mâle assurance d'un de ses ennemis trouvant la vertueuse tout à fait démagogue. Les gazettes relatèrent.
Le calife d'ici fait preuve en toute chose d'un esprit fort curieux. Il pense que le nouveau apporte grande force et aussi bénéfice pour le bonheur commun.
Il prend ainsi parti de nouer amitié avec tous qui font preuve d'esprit, qu'on appelle créateurs, inventeurs ou artistes dans le langage d'ici. Le peintre des images qui est de grand renom et fut souvent lauré a conçu son spectacle par pure sympathie pour son ami local.
J'appris également par celui qui m'héberge qu'un potier de renom (**) offrit tout récemment une œuvre de grand prix au Musée de la Ville pour la même raison.

Il est grand travailleur pour le bonheur des gens comme le fut chez nous le regretté Rachid. On le voit au bureau dès heures matinales et repartir de nuit dans ses appartements qui jouxtent son étude. Il consacre son temps sans trêve ni repos à l'intérêt de tous et n'hésite pas pour certaines affaires à courir les chantiers avec les ouvriers. On l'a vu m'a-t-on dit avec ses personnels pendant deux nuits durant être sur le chantier de la fête aux lumières jusqu'à heures d'aurore. La chose n'est pas courante et mérite qu'on la sache.

J'ai choses à dire encore sur cette grande fête tant elle me fit émotion et garde quelques traits pour un prochain courrier. Je t'y relaterai jusque dans le menu.

Y penser me réjouit et apaise la tristesse qui me survient parfois quand je pense au pays.

Je t'embrasse mon cher Mirza, mon très cher ami.

Uzbek

(*) KEFRAYAN littéralement cheveux visibles en moyen haut persan. Nous avons opté ici pour la traduction de Johnson généralement considérée comme plus «romantique» mais sans doute aussi plus imagée et dynamique.

(**) Uzbek veut parler ici du célèbre céramiste Gilbert Portanier qui vient de faire don d'une de ses œuvres magistrales au musée Théodore Deck pour remercier la Ville de l'accueil qui lui a été réservé.