Figure toi mon cher Mirza que je viens
d'être témoin de chose à peine croyable ce jour de la semaine
qu'ils appellent dimanche.
Le calife d'ici dont j'ai déjà parlé
organise chaque année grande fête des lumières pour le plaisir du
peuple et faire savoir partout les mérites de sa ville. Il veut la
faire connaître, la veut plus attractive et ainsi l'enrichir pour le
bonheur des gens. C'est grand bouleversement d'avec le précédent.
C'était donc grande fête cette
journée d'avant hier. Les rues grouillaient de peuple, un océan de
têtes jusque dans les ruelles. Des sourires partout, plaisir d'être
ensemble. C'était fête de lumières, de saveurs et d'odeurs avec
les bruits de vie et ambiance fraternelle comme il y a au pays. Je
voyais Ispahan et la fête du Kefir. C'est te dire mon bonheur.
Sur chacun des immeubles, qu'ils
appellent églises, il se fit projections d'images colorées d'une
nouvelle invention de grande technologie qu'on dénomme mapping. La
chose est toute neuve. Il n'y en a point en Perse et fort peu par le
monde.
Les opposants du calife qui voulaient
se montrer au milieu de la foule faisaient sourires figés et
montraient peu d'ardeur à taper dans leurs mains qui sont youyous
d'ici. Ils enrageaient sans doute à voir le grand plaisir de toute
la populace et à imaginer le bonheur du calife.
Ils cherchèrent revanche sans beaucoup
de succès dans une table à médire annoncée pleine rue dans le
jour qui suivit mais qui ne se fit pas pour raisons point dicibles ou
offrant chocolat et petits gâteaux doux pour appâter les gens comme
on fait des enfants.
Celle à cheveux au vent (*) qui veut
se distinguer avait anticipé avant veille en conseil de notables où
elle a son divan. Elle qui prêche rigueur et grande austérité et
voit dans toute fête funeste badinage, poussa sa diatribe comme à
son habitude pour trouver que le coût était de son avis beaucoup
trop élevé. Ce ne furent que sourires du côté des anciens hormis
fracas de mots avec mâle assurance d'un de ses ennemis trouvant la
vertueuse tout à fait démagogue. Les gazettes relatèrent.
Le calife d'ici fait preuve en toute
chose d'un esprit fort curieux. Il pense que le nouveau apporte
grande force et aussi bénéfice pour le bonheur commun.
Il prend ainsi parti de nouer amitié
avec tous qui font preuve d'esprit, qu'on appelle créateurs,
inventeurs ou artistes dans le langage d'ici. Le peintre des images
qui est de grand renom et fut souvent lauré a conçu son spectacle
par pure sympathie pour son ami local.
J'appris également par celui qui
m'héberge qu'un potier de renom (**) offrit tout récemment une
œuvre de grand prix au Musée de la Ville pour la même raison.
Il est grand travailleur pour le
bonheur des gens comme le fut chez nous le regretté Rachid. On le
voit au bureau dès heures matinales et repartir de nuit dans ses
appartements qui jouxtent son étude. Il consacre son temps sans
trêve ni repos à l'intérêt de tous et n'hésite pas pour
certaines affaires à courir les chantiers avec les ouvriers. On l'a
vu m'a-t-on dit avec ses personnels pendant deux nuits durant être
sur le chantier de la fête aux lumières jusqu'à heures d'aurore.
La chose n'est pas courante et mérite qu'on la sache.
J'ai choses à dire encore sur cette
grande fête tant elle me fit émotion et garde quelques traits pour
un prochain courrier. Je t'y relaterai jusque dans le menu.
Y penser me réjouit et apaise la
tristesse qui me survient parfois quand je pense au pays.
Je t'embrasse mon cher Mirza, mon très
cher ami.
Uzbek
(*) KEFRAYAN littéralement
cheveux visibles en moyen haut persan. Nous avons opté ici
pour la traduction de Johnson généralement considérée comme plus
«romantique» mais sans doute aussi plus imagée et dynamique.
(**) Uzbek veut parler ici du célèbre
céramiste Gilbert Portanier qui vient de faire don d'une de ses
œuvres magistrales au musée Théodore Deck pour remercier la Ville
de l'accueil qui lui a été réservé.